Nous avons le choix. Nous pouvons passer notre vie à coté de nos pompes ou bien prendre le chemin d’une assise en soi. L’un comme l’autre ont des avantages et nous présenteront leurs difficultés. Patanjali au début du second chapitre du yoga-sutra, nous donne trois axes qu’il place sur le même plan tout en les classant.
L'ascèse purificatrice
Le premier de ces axes est la pratique, « l’ascèse purificatrice ». C’est la pratique posturale mais aussi faire de sa vie une ascèse. Il ne s’agit pas là d’aller vivre en ermite loin du monde et de ses turbulences. Mais plutôt d’une tentative intelligente d’être en yoga dans une vie active et encrée dans son dharma.
Un chemin vers soi
Le deuxième axe que nous propose Patanjali est le « chemin vers soi ». C’est cette attention à soi qui donne accès à une connaissance profonde et intime, et une prise de conscience de ce qui est agissant en nous, malgré nous. Cela fait pleinement partie de la pratique du yoga. Et, selon moi, ne pas s’intéresser à sa profondeur est gage d’une certaine tranquillité, quoique toute relative.
Ne rien faire
Le troisième axe qui nous est proposé est « ne rien faire des fruits récoltés sur le chemin du yoga ». Que ces fruits soient physiques, psychiques, énergétiques ou autres, ne rien en faire et même ne pas s’y intéresser au risque, entre autres, de nourrir l’égo. C’est aussi lâcher prise. Savoir que le contrôle est un leurre et que le vivant coule en nous sans qu’on y fasse quoi que ce soit.
Etre son propre tuteur
L’objectif de ces trois propositions de Patanjali est la structure intérieure. La construction d’un tuteur intérieur permettant à l’Être de grandir en nous. L’enfant a besoin de tuteurs extérieurs afin de grandir et au fur et à mesure qu’il croît, il s’appuie sur différents supports qui sont les parents, les enseignants, l’entourage… Plus tard, à l’âge adulte il sera suffisamment fort pour pouvoir se détacher des tuteurs extérieurs et poursuivre sa vie, autonome et singulier. Mais parfois la vie fait que l’axe intérieur n’est pas suffisamment solide. L’adulte, dans ce cas-là continue de s’appuyer sur des tuteurs extérieurs qui peuvent être les autres, la consommation excessive d’objets, de drogues, de relations…
La pratique régulière, soutenue par une grande présence à soi et du lâcher prise, mène à une plus grande conscience de soi. L’ascèse purificatrice jour après jour nettoie ce qui encombre pour laisser apparaitre l’être. J’entends souvent dire que nous sommes praticiens du « bien-être » mais je pense que cette expression anodine peut induire une vision erronée. Cela sous-entend deux choses : d’une part, la pratique serait un cheminement tranquille et lignifiant. D’autre part, qu’il y aurait une certaine manière « d’être bien ». Michel Alibert rappelle régulièrement, qu’il faut se coltiner le tapis. La pratique du yoga est un chemin ponctué de prises de consciences qui parfois, peuvent être délicates à faire émerger. Faire lumière sur soi peut, de temps à autres être inconfortable. Et, grandir à soi c’est avancer dans la vie avec une conscience de soi éclairée et surtout une grande confiance. La confiance comme tuteur intérieur.
Pratiquez!
Alors de quoi se défaire au travers de la pratique ? De ce qui empêche et en premier, nos idéaux. C’est aussi nous dit Patanjali, calmer cette argutie permanente liée à notre agitation intérieure et source de souffrances que sont les kleśa : l’égo excessif, la peur incontrôlable, la passion dévorante, le rejet aveugle. Le tout masqué par la méconnaissance c’est-à-dire, agissant malgré nous. Alors bien sûr, se dire « aujourd’hui je vais pratiquer pour nettoyer la peur ou pour diminuer la passion dévorante en moi serait vain. Non, Patanjali nous dit pratiquez ! pratiquez ! et vous verrez bien. C’est ce qu’il nous dit quand il nous enjoint à ne rien faire de notre pratique, de ne pas l’instrumentaliser. Car le yoga est un chemin qui nous engage à aller voir, vidya, afin de jours après jours éliminer avidya, la méconnaissance.
Tout ce qui nous encombre et empêche en nous, comme les kleþa sera, pratique après
pratique, ramené à la conscience et pacifié. Le cheminement du yoga est allègement. C’est passer de l’insoutenable lourdeur existentielle à une soutenable légèreté d’être à la vie. Car ce qui rendra tout cela soutenable c’est la confiance, śraddhā, le tuteur intérieur. Tout ce qui agite, nous sort de notre axe, tout ce qui calme nous ramène droit dans nos bottes.
Par le travail de la posture, du souffle et de la concentration, la présence que nous propose le yoga, nous nous encrons physiquement, émotionnellement et psychiquement. Il ne s’agirait pas là d’idéaliser le yogi comme étant tellement stable qu’immuable et non soumis aux émois de l’être. Non, même les pratiquants les plus aguerris sont soumis à l’inconscient et au refoulement agissant. Mais, ce qui fait la différence c’est que malgré ses émois, le yogi sera de plus en plus encré en lui-même, soutenu par son tuteur intérieur avec de moins en moins souvent le recours aux supports extérieurs. L’autre devient alors compagnon et non plus béquille. Ce qui était insoutenable intérieurement, la dispersion, les klesha, devient soutenu car apaisé. Le chemin du yoga est un chemin ou l’être se singularise et cette singularité devient soutenante et non plus subie.
Le chemin du yoga est un chemin de mise en lumière. Il est balisé par le kriya-yoga et les huit membres du yoga expliqués au second chapitre du texte de Patanjali. Alors pratiquons ! Pratiquons ! Et nous verrons bien ce que cette mise en lumière nous apportera.
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